lundi 24 juillet 2017

L'auteur, les personnages, Milan Kundera

"Il est né de cette image. Comme je l'ai déjà dit, les personnages ne naissent pas d'un corps maternel comme naissent les êtres vivants, mais d'une situation, d'une phrase, d'une métaphore qui contient en germe une possibilité humaine fondamentale dont l'auteur s'imagine qu'elle n'a pas encore été découverte ou qu'on n'en a encore rien dit d'essentiel.
Mais n'affirme-t-on pas qu'un auteur ne peut parler d'autre chose que de lui même ? 
Regarder, impuissant, dans la cour et ne pas arriver à prendre de décision ; entendre le gargouillement obstiné de son propre ventre dans un instant d'exaltation amoureuse ; trahir et ne pas savoir s'arrêter sur la route si belle des trahisons ; lever le poing dans le cortège de la Grande Marche ; exhiber son humour devant les micros dissimulés par la police : j'ai connu et j'ai moi-même vécu toutes ces situations ; d'aucune, pourtant, n'est issu le personnage que je suis moi-même dans mon curriculum vitae. Les personnages de mon roman sont mes propres possibilités qui ne sont pas réalisées. C'est ce qui fait que je les aime tous et que tous m'effraient pareillement. Ils ont, les uns et les autres, franchi une frontière que je n'ai fait que contourner. C'est cette frontière franchie (la frontière au-delà de laquelle finit mon moi) qui m'attire. Et c'est de l'autre côté seulement que commence le mystère qu'interroge le roman. Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde."

Extrait de L'insoutenable légèreté de l'être, Milan Kundera

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