"Il est né de cette image. Comme je l'ai déjà dit, les personnages ne
naissent pas d'un corps maternel comme naissent les êtres vivants, mais
d'une situation, d'une phrase, d'une métaphore qui contient en germe une
possibilité humaine fondamentale dont l'auteur s'imagine qu'elle n'a pas
encore été découverte ou qu'on n'en a encore rien dit d'essentiel.
Mais n'affirme-t-on pas qu'un auteur ne peut parler d'autre chose que de lui même ?
Mais n'affirme-t-on pas qu'un auteur ne peut parler d'autre chose que de lui même ?
Regarder, impuissant, dans la cour et ne pas arriver à prendre de
décision ; entendre le gargouillement obstiné de son propre ventre dans
un instant d'exaltation amoureuse ; trahir et ne pas savoir s'arrêter
sur la route si belle des trahisons ; lever le poing dans le cortège de
la Grande Marche ; exhiber son humour devant les micros dissimulés par
la police : j'ai connu et j'ai moi-même vécu toutes ces situations ;
d'aucune, pourtant, n'est issu le personnage que je suis moi-même dans
mon curriculum vitae. Les personnages de mon roman sont mes propres
possibilités qui ne sont pas réalisées. C'est ce qui fait que je les
aime tous et que tous m'effraient pareillement. Ils ont, les uns et les
autres, franchi une frontière que je n'ai fait que contourner. C'est
cette frontière franchie (la frontière au-delà de laquelle finit mon
moi) qui m'attire. Et c'est de l'autre côté seulement que commence le
mystère qu'interroge le roman. Le roman n'est pas une confession de
l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège
qu'est devenu le monde."
Extrait de L'insoutenable légèreté de l'être, Milan Kundera
Extrait de L'insoutenable légèreté de l'être, Milan Kundera
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